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ENFANTS ABANDONNÉS, ENFANTS ACCUEILLIS!

Cette série d’articles a été réalisé dans le cadre du projet Les Augustines à la rescousse des enfants abandonnés : Valoriser un fonds d’archives d’exception subventionné par Première Ovation – volet Patrimoine. Durant le projet, une jeune professionnelle a étudié le Fonds des enfants abandonnés. Ce fonds révèle une conjoncture bien particulière de l’histoire de la communauté des Augustines de l’Hôtel-Dieu de Québec entre 1801 et 1845. En effet, à la demande du gouvernement québécois, les Augustines ont accueilli près de 1400 enfants abandonnés durant cette période.

Dès les débuts de l’établissement de la colonie française, les enfants illégitimes ou les orphelins sont remis à des membres de leur entourage. Cette pratique est centrale dans l’organisation de la société jusqu’au XIXe siècle. Les réseaux de sociabilité qui existent dans les paroisses sont alors à la base du placement et de l’aide de ces enfants avant cette époque[1]. Toutefois, au tournant du XIXe siècle, ces réseaux s’effritent en raison du manque de ressources financières et de terres agricoles ainsi que du déplacement des populations vers les zones urbaines[2]. La population du Bas-Canada se tourne alors vers les institutions chrétiennes financées par le gouvernement, dont le monastère des Augustines de l’Hôtel-Dieu de Québec. L’accueil des enfants abandonnés dans cette institution dès 1800 permet ainsi le placement de 527 enfants de tout âge dans de nouvelles familles. Ce système de placement reste toutefois méconnu et nécessite que nous y jetions un œil afin de mieux comprendre ses bases et son fonctionnement.

L’Accueil des enfants trouvés

Lorsque le gouvernement demande aux Augustines d’accueillir les enfants trouvés de la ville de Québec, la mère supérieure y voit un moyen de s’assurer du bien-être de ceux-ci, sur les plans physique, intellectuel et spirituel. Elle souhaite ainsi confier les enfants à de bonnes familles chrétiennes en échange d’une rente fournie, au départ, par le gouvernement ; la famille reste la base de l’accueil des enfants. Toutefois, pour une première fois, une compensation financière est fournie pour les enfants recueillis.

Registre des dépenses et des pensions, 1804-1819, Québec, Le Monastère des Augustines, HDQ-F3-C2/1:1

La congrégation a ainsi le devoir de trouver des familles acceptables pour remplir cette mission. Cela représente un défi de taille : les Augustines sont cloîtrées et les liens qu’elles entretiennent avec le monde sont indirects. Au départ, elles font appel à des individus qu’elles connaissent directement. Cependant, avec l’explosion du nombre d’enfants qu’elles reçoivent, elles doivent de plus en plus faire appel à des personnes qui leur sont inconnues. Afin de s’assurer du bien-être des enfants, elles demandent des recommandations aux prêtres locaux ou encore des brevets de confiance, c’est-à-dire des documents notariés où des notables ou des clercs appuient un individu. La place des ecclésiastes dans le choix des familles est donc non négligeable et ceux-ci ont un rôle primordial pour s’assurer du bien-être des enfants dans les situations où les Augustines ne peuvent le faire.

Nous avons d’ailleurs aujourd’hui la trace de cas où les prêtres interviennent directement pour dénoncer le placement dans certaines familles ou encore pour l’appuyer. Le cas de Vallier Lepage[3] est d’ailleurs fort révélateur : le prêtre Alexis Bélanger de Sainte-Marie écrit à la mère supérieure à propos du placement d’un enfant. Selon ce dernier, il est fort étonnant d’apprendre qu’un enfant a été placé en pension chez Lepage puisqu’il s’agit d’un « quêteux qui élève sa propre famille en demandant son pain »[4]. Le prêtre prétend également que Lepage a probablement forgé les documents ayant servi à sa recommandation. S’il s’agit d’un cas extrême, il reste indéniable que de telles pratiques existent et que l’accueil des enfants a, pour plusieurs familles, des avantages financiers.

À la base, le comité chargé de financer l’accueil des enfants a promis de payer une rente annuelle de 10 £ pour prendre soin des enfants[5]. À cette époque, il s’agit d’une somme considérable : le salaire annuel d’un ouvrier à Québec s’élève alors à 12 ou 13 livres et, comme le dénotent John Hare, Marc Lafrance et David-Thiery Ruddle, l’achat quotidien de pain coûte près de 40 % de cette somme. Pour mieux comprendre l’importance monétaire de cette rente, il faut noter que le prix moyen des rentes seigneuriales pour une censive de 90 arpents située dans le district de Québec est de 9,5 £[6]. La somme ainsi donnée aux familles d’accueil pour chacun des enfants est un incitatif économique certain, même si, en 1824, la rente diminue à 7,5 £ dans le monde rural[7]. Ainsi, pour plusieurs de ces familles, l’arrêt du paiement de la rente par le gouvernement en 1835 est synonyme de grandes difficultés économiques. Certains écrivent à la mère supérieure pour demander une avance afin de pouvoir acheter les semences nécessaires pour cultiver leur terre[8].

L’importance de la rente attribuée par le gouvernement, puis versée par les sœurs, explique pourquoi certains individus, comme Lepage, ont tenté de tirer avantage du système mis en place par les Augustines. De plus, de nombreux enfants abandonnés ont été placés chez des veuves qui n’avaient que très peu de revenus. Le montant donné par enfant est donc non seulement un incitatif financier intéressant, mais également un moteur de liberté économique pour les classes les moins fortunées.

Tel que mentionné ci-haut, la plupart des familles choisies le sont après avoir obtenu une recommandation de la part d’un prêtre. Il est alors aisé de constater que, pour certains de ces prêtres, cette œuvre est fort importante et qu’ils encouragent leurs ouailles à accueillir ces enfants. La paroisse de Sainte-Marie et celle de Saint-Henri sont d’excellents exemples de ce phénomène : les prêtres de ces paroisses, soit Derome et Lacasse, ont encouragé nombre de leurs fidèles à joindre l’œuvre des Augustines. Ces paroisses font partie de celles où le plus grand nombre d’enfants ont été accueillis.

Toutefois, le facteur le plus déterminant dans l’accueil des enfants est la proximité avec le monastère. Les paroisses qui accueillent le plus d’enfants sont les suivantes : Pointe-Lévy, Québec, Saint-Augustin, Saint-Gervais, Saint-Henri, Saint-Nicolas ou encore Sainte-Marie, toutes situées dans le district de Québec ou de Saint-Thomas. Cette réalité démontre l’importance des réseaux de sociabilité des religieuses dans le placement des enfants. Elles choisissent des familles sur lesquelles elles peuvent garder un certain contrôle et dont les prêtres collaborent à la surveillance.

La confiance dont les Augustines font preuve envers certaines familles est d’ailleurs remarquable : de nombreux enfants sont placés dans les mêmes foyers. À cet égard, le cas du couple formé par Gabriel Goulet et Marie Josephe Griveault Bellerose est fascinant. Ceux-ci adoptent sept enfants en plus de servir de foyer d’accueil pour de nombreux autres. Un tel cas est bien certainement rare, mais il semble que d’autres cas semblables ont existé et que la concentration d’enfants accueillis chez certains individus ait même engendré des craintes chez les Augustines.

C’est le cas de Charles Bisson[9]. En effet, en 1843, ce foyer a la responsabilité de six enfants, dont trois sont décédés. Charles Bisson demande la responsabilité d’un autre enfant, ce à quoi la mère supérieure se montre réticente. Le prêtre Derome écrit un billet où il prie les sœurs d’accorder la garde d’un autre enfant à cette famille et ce témoignage a pour effet de convaincre les Augustines. Elles y placent ainsi, quelques jours plus tard, le jeune Isaac, qui est adopté par Bisson.

Les réseaux de sociabilité, au cœur desquels se trouvent les prêtres, ainsi que le système de rentes, sont centraux à l’établissement du système de placement des enfants abandonnés. La finalité de celui-ci est toutefois l’adoption des enfants à l’âge de cinq ans. C’est une mesure qui est obligatoire à partir de 1824. Les familles qui accueillent les enfants durant leur enfance sont les mêmes qui les adoptent et l’on trouve de nombreux mariages d’enfants du tour où les parents nommés sont en fait les parents d’adoption. Il est donc indéniable que le troisième élément central au système de placement des enfants abandonnés a été la charité chrétienne.

Béatrice Couture


[1] Dominique Goubeau et Claire O’Neil, « L’adoption, l’Église et l’État », dans L’évolution de la protection de l’enfance au Québec, dir. Renée Joyal, (Montréal : Presses de l’Université du Québec, 2000).

[2] Ibid., p. 103.

[3] Billet du Fonds des enfants abandonnés – Flavien Robert, 1839, Québec, Le Monastère des Augustines, HDQ-F3-B1/1:864.

[4] Ibid.

[5] Tableau des enfants aux charges de la commission établie à Québec pour l’exécution d’un acte pour le soulagement des personnes dérangées dans leur esprit, et le soutien des enfants abandonnés, 1805 à 1819, Québec, Le Monastère des Augustines, HDQ-F3-C2,1/1.

[6] Ce nombre est une moyenne des montants exposés par Courville pour les comtés où l’on retrouve des enfants du tour. Serge Courville. « Rente déclarée payée sur la censive de 90 arpents au recensement nominatif de 1831 : méthodologie d’une recherche », Cahiers de géographie du Québec, vol. 27, n. 70 (1983), p. 45-50.

[7] Tableau des enfants aux charges de la commission établie à Québec pour l’exécution d’un acte pour le soutien des personnes dérangées dans leur esprit & le soutien des enfants abandonnés reçus à l’Hôtel-Dieu de Québec, 1er janvier 1820 au 1er janvier 1830, Québec, Le Monastère des Augustines, HDQ-F3-C2,1/2.

[8] Lettre de Sœur Saint Antoine à Jérôme Demers, 11 mai 1838, Québec, Le Monastère des Augustines, HDQ-F3-A1/1:28.

[9] Billet du Fonds des enfants abandonnés – Olivier, 1843, Québec, Le Monastère des Augustines, HDQ-F3-B1/1:980.