LA VIE CLOÎTRÉE DES AUGUSTINES À TRAVERS LES COLLECTIONS DE LA COMMUNAUTÉ
Certes, la clôture est difficile à respecter lors de leur arrivée en Nouvelle-France en raison de l’absence d’un monastère répondant aux normes architecturales du cloître. Heureusement pour les religieuses, l’Église catholique tolère que celles-ci ne soient pas cloîtrées lorsqu’elles fondent un nouveau monastère[3]. Il faut attendre au début des années 1640 pour que des bâtiments leur étant destinés soient construits et qu’elles puissent ainsi vivre selon les prescriptions de l’Église[4]. Bien que marquées par les guerres, les changements de gouvernements, l’accroissement de la population et plus encore, les Augustines réussissent tout de même à prendre soin de la population tout en vivant cloîtrées pendant près de trois siècles.
Le concile Vatican II, qui a eu lieu entre 1962 et 1965, vient toutefois bouleverser l’ordre établi par le retrait de l’imposition de la clôture papale au profit d’une vie en contact avec le monde extérieur[5]. Bien que bouleversants, ces changements ont été tout de même bien accueillis par les Augustines qui parviennent à s’adapter rapidement à leur nouveau mode de vie et à délaisser ce qu’elles ont connu avant. Si près de 60 ans sont passés depuis cette réforme, le legs de la clôture occupe une place encore très importante dans la communauté, notamment dans les collections des Augustines qui regorgent d’objets rappelant cette époque.
Les témoins matériels de la vie cloîtrée
En consultant les collections, on entre en contact avec de nombreux objets se rapportant à la vie cloîtrée. L’un des témoins les plus importants datant de cette époque est certainement la grille de cloître. Au temps du cloître, les monastères augustiniens sont dotés de grilles permettant d’assurer la séparation entre la vie des religieuses et celle des laïcs dans les endroits où les Augustines sont susceptibles d’avoir un contact avec le monde extérieur, tels que les parloirs, l’église et la pharmacie de l’hôpital[6].
Dans les collections des Augustines, on retrouve de nombreuses grilles de cloîtres provenant de différents monastères fondés par la communauté religieuse au Québec. En se basant sur les informations ainsi que sur les photos en lien avec la clôture conservées dans les archives, on peut supposer que la grille ci-dessous se trouvait dans l’un des parloirs du monastère de l’Hôpital général de Québec. Le parloir est une pièce où l’on accueillait les visiteurs. La grille de cloître était placée au centre de la pièce de manière à diviser la zone des visiteurs de celle des religieuses. Par cette grille, les religieuses pouvaient communiquer avec les visiteurs en restant séparées du monde extérieur.
Un autre témoin important de cette vie cloîtrée est la cloche. Au temps du cloître, de nombreuses cloches placées dans différents endroits stratégiques des Monastères rythment la vie des religieuses du matin au soir. Des cloches et des sonneries distinctes se faisaient entendre que ce soit pour la messe conventuelle, le chapelet, la lecture particulière ou encore, le souper de la communauté. Parmi les différentes cloches qui font partie des collections de la communauté, on compte la cloche de la portière.
La cloche, présentée ci-dessous, aurait été fabriquée avant 1850 et était autrefois utilisée près de la porte conventuelle, au poste de la religieuse occupant la fonction de portière. À l’époque, les hommes ne sont admis au cloître qu’en cas de nécessité, par exemple lors de la visite du médecin à l’infirmerie de la communauté. Le tintement de la cloche permettait donc aux Augustines de se préparer à cette visite, notamment en couvrant de leur voile la partie supérieure de leur visage[7].
Un autre objet qui se lie à la vie cloîtrée est le drap mortuaire. À l’époque où le cloître est encore imposé aux religieuses, un drap mortuaire est utilisé lors de la cérémonie de profession perpétuelle. Cette cérémonie constitue la dernière des quatre étapes de l’entrée en communauté. Les trois étapes qui la précèdent sont le postulat, le noviciat et la profession temporaire qui, mis ensemble, équivalent à environ 5 ans. Durant cette dernière étape du passage à la vie en communauté, la nouvelle augustine participait à une cérémonie symbolique dans le chœur sous le regard de la communauté. Lors de cette cérémonie, la professe devait exécuter divers gestes solennels confirmant sa profession perpétuelle en tant qu’Augustine. L’une des actions hautement symboliques à accomplir consistait à se coucher au sol pour être par la suite recouverte d’un drap mortuaire. Cette étape de la cérémonie symbolisait la renonciation de la vie dans le monde laïc. L’exécution de l’ensemble de ces gestes confirmait la fin d’un long processus et l’entrée officielle d’une nouvelle religieuse dans la communauté[8]. Le drap mortuaire dont il est question ici aurait été fabriqué au 20e siècle et aurait été utilisé pour la dernière fois en 1958 pour la profession perpétuelle de sœur Nicole Perron.
Le costume des religieuses se lie lui aussi à la vie au cloître. En effet, au temps du cloître, les religieuses portent un costume ayant bien peu évolué qui se rapproche beaucoup de celui que portent les premières Augustines arrivées en Nouvelle-France en 1639. Dans les années 1950, plus particulièrement lors du congrès des religieuses éducatrices du 13 septembre 1951 et lors d’une allocution aux supérieures générales des Instituts et des Congrégations féminines du 15 septembre 1952, le Pape Pie XII ouvre toutefois la porte à un allègement du costume traditionnel. Les propos tenus par le pape ont enclenché un processus de changement de costume qui se traduisit tout d’abord par la création, dès 1957, d’un projet de modifications de l’habit traditionnel[9]. De ce projet émergea, dès l’année suivante, un nouveau costume qui, en plus d’être plus léger, est destiné à toutes les sœurs, qu’elles soient des sœurs converses ou des sœurs de chœurs[10]. À noter qu’avant cette vague de changements vestimentaires, les costumes des sœurs converses, qui étaient auparavant assignées aux tâches temporelles de la maison, et des sœurs de chœurs, qui étaient quant à elles assignées aux tâches médicales à l’hôpital, étaient différents en ce qui concerne notamment la longueur de la chape ou encore le positionnement de la ceinture[11]. Les photos des poupées de sœurs converses et de sœurs de chœurs présentés ci-dessous permettent de mieux visualiser ces différences.
Les changements apportés en 1958 durent toutefois peu de temps puisqu’en 1963, d’autres changements furent apportés au costume, notamment par la suppression de certaines pièces de vêtements faisant anciennement partie du costume traditionnel comme le rochet et la chape. Par l’abolition du cloître et de la distinction entre les sœurs converses et les sœurs de chœur en 1965, le costume continue à changer. Il faut attendre 1967 pour que le nouveau costume, que portent encore aujourd’hui les Augustines, soit adopté[12]. Si le costume traditionnel a été remplacé depuis déjà plusieurs décennies, des témoins de l’ancien costume porté par les Augustines au temps de la clôture sont encore bien présents dans les collections. Parmi les diverses pièces qui ont été délaissées lors des modifications du costume, on retrouve tout d’abord la croix-reliquaire. La croix-reliquaire était remise aux religieuses lors de leur profession perpétuelle et était portée au cou. Dans celle-ci, on retrouvait des reliques. Depuis 1967, la croix-reliquaire a cependant été remplacée par une simple croix en argent[13].
Une autre pièce qui a été délaissée lors des changements du costume et qui était portée au temps du cloître est la chape. La chape est une sorte de longue cape noire qui était portée par-dessus l’ensemble du costume, lors des offices religieux et des événements protocolaires. Cette chape est différente pour les sœurs converses et pour les sœurs de chœurs. En effet, la chape portée par les sœurs de chœur est plus longue que celle des sœurs converses et elle est dotée d’une traîne à l’arrière. La chape présentée ici en est un bon exemple. Celle-ci a été fabriquée durant le 1er quart du 20e siècle et appartenait probablement, si on se fie à sa longueur et à sa traîne arrière, à une sœur de chœur[14].
Un patrimoine à garder en mémoire
Près de 60 ans sont passés depuis la fin de l’imposition de la clôture papale, mais les traces de celle-ci restent encore bien perceptibles dans le patrimoine conservé par les Augustines. Les collections des Augustines, dans lesquelles font partie bon nombre d’objets se liant à la vie cloîtrée, en sont la parfaite démonstration. En analysant certains de ces objets, on constate combien la place de la clôture était importante et combien celle-ci eut des impacts sur l’ensemble des sphères de la vie des Augustines. En constatant cela, on ne peut faire autrement que se rappeler combien ce patrimoine est important et combien il est nécessaire d’œuvrer pour continuer à le mettre en valeur et ainsi, en assurer sa pérennité.
Marie-Ève Boulay
Article rédigé dans le cadre du stage de fin d’études du Diplôme d’études supérieures spécialisées en muséologie
Références
[1] Constitution de la congrégation des religieuses hospitalières de la miséricorde de jésus de l’ordre de Saint-Augustin, 1913, p. 43.. Les Augustines de la Miséricorde de Jésus ne font pas exception et s’adaptent à cette vie cloîtrée, et ce, même en Amérique du Nord où elles s’implantèrent en 1639.
[2] François Rousseau, La croix et le scalpel, histoire des Augustines et de l’Hôtel-Dieu de Québec I : 1639-1892, (Québec : Éditions du Septentrion, 1989), p. 29.
[3] Constitution de la congrégation des religieuses hospitalières de la miséricorde de jésus de l’ordre de Saint-Augustin, 1913, p. 44.
[4] Rousseau, op. cit., p. 50.
[5] François Rousseau, La croix et le scalpel, histoire des Augustines et de l’Hôtel-Dieu de Québec 2 : 1892-1989, (Québec : Éditions du Septentrion, 1994), p. 385
[6] Constitution de la congrégation des religieuses hospitalières de la miséricorde de jésus de l’ordre de Saint-Augustin, 1923, p. 36.
[7] Ariane Blanchet-Robitaille, « Au son de la cloche.. et de la crécelle». Le Monastère des Augustines, 9 avril 2019.
[8] Les Augustines de la Miséricorde de Jésus, « Les étapes d’entrée en communauté : la prise d’habit et les vœux», Le patrimoine immatériel religieux du Québec, consulté le 15 juin 2024.
[9] Sœur Claire Gagnon, Le costume (1639 à 1967), Les Augustines de la Miséricorde de Jésus, Monastère de l’Hôtel-Dieu de Québec, 1979, p.16.
[10] Ibid., p. 17.
[11] Rousseau tome I, op. cit., p. 131.
[12] Sœur Claire Gagnon, op. cit., p. 20.
[13] Ibid., p. 15.
[14] Ibid., p. 13.