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UN PARTENARIAT POUR VENIR EN AIDE AUX ENFANTS ABANDONNÉS

Cette série d’articles a été réalisé dans le cadre du projet Les Augustines à la rescousse des enfants abandonnés : Valoriser un fonds d’archives d’exception subventionné par Première Ovation – volet Patrimoine. Durant le projet, une jeune professionnelle a étudié le Fonds des enfants abandonnés. Ce fonds révèle une conjoncture bien particulière de l’histoire de la communauté des Augustines de l’Hôtel-Dieu de Québec entre 1801 et 1845. En effet, à la demande du gouvernement québécois, les Augustines ont accueilli près de 1400 enfants abandonnés durant cette période.

Catherine Henriette est née en avril 1800. Celle-ci est une enfant illégitime née de parents inconnus dans les environs de Québec. Si, à cette époque, la plupart des enfants illégitimes sont recueillis par des membres de l’entourage des parents, et le plus souvent de celui de la mère[1], cette enfant fait exception : elle est déposée chez les Augustines, au monastère de l’Hôtel-Dieu de Québec. L’année 1800 marque le début d’un partenariat entre les Augustines et le gouvernement du Bas-Canada visant à venir à la rescousse des enfants abandonnés.

La réception d’un enfant

À la suite de la réception de la petite Catherine et, ne sachant trop que faire de celle-ci, la supérieure du monastère contacte les autorités du Bas-Canada pour discuter du sort de l’enfant. Rapidement, Jonathan Sewell, l’un des représentants du gouverneur, demande aux Augustines de trouver une famille convenable pour l’enfant. En contrepartie, le gouvernement s’engage à payer une rente à la famille d’accueil.

Pour Sewell et le lieutenant-gouverneur, cette entente doit toutefois demeurer secrète puisque si leurs contemporains « savoi[en]t que le Gouvernement paye pour le maintien de ces Enfans trouvés, ce seroit encourager cette pratique, et on nous en apporteroit souvent pour imposer sur le public le fardeau de les élever »[2]. Pour les deux hommes politiques, cette pratique doit rester marginale à l’intérieur de la colonie.

La volonté de conserver le secret entourant le cas de cette enfant est révélateur des pratiques liées au soutien des indigents, des pauvres, des malades et des enfants abandonnés dans la colonie. Il existe un retard important si on compare à la situation en Angleterre où un ensemble de lois, l’Act for the relief of the Poor, vise à aider les populations dans le besoin[3]. Le gouvernement anglais accorde alors des sommes aux différentes municipalités pour venir en aide aux plus démunis. Toutefois, dans la colonie, un tel réseau est inexistant et les autorités ne peuvent venir en aide aux nécessiteux. Les plus pauvres, ainsi que les enfants abandonnés, sont donc souvent laissés à eux-mêmes. Les réseaux de solidarité chrétienne et familiaux représentent leurs principales ressources. Hors, ceux-ci s’effritent de plus en plus en raison du contexte économique difficile de l’époque[4].

Un comité et une entente

Face à cette situation, l’Assemblée législative crée un comité dont le but est d’identifier les moyens pour venir en aide aux démunis dans l’ensemble du Bas-Canada. Les membres du comité décident de demander aux congrégations religieuses. À cette époque, elle sont les principales agentes d’aide. De plus, la population leur accorde une grande confiance. Le juge Panet, alors président du comité, fait appel à la supérieure du monastère de l’Hôtel-Dieu de Québec et lui demande d’accueillir les enfants abandonnés en vue de les placer dans des familles d’accueil[5].

Les Augustines acceptent cette mission à condition que des nourrices soient engagées pour s’occuper des enfants. Cet accord permet ainsi de créer des liens avec le gouvernement anglais comme le mentionne le résumé de l’Assemblée capitulaire dans lequel la supérieure affirme que « nous avions d’autant plus d’interet de ménayer qu’il [le lieutenant-gouverneur] paroit porté à favoriser les communautés, et qu’ainsi pour nous assurer sa faveur il falloit entrer dans ses vûes et nous rendre utiles autant que possible »[6].

Le partenariat entre les Augustines et le gouvernement débute en 1801, mais si l’entente semble solide, la mésentente se produit rapidement puisque les fonds promis par le gouvernement s’effritent d’année en année jusqu’à ce qu’en 1835 le tour, qui est l’endroit où sont déposés les enfants à cette époque, soit fermé.

La porte conventuelle et le tour du monastère de l’Hôtel-Dieu de Québec, 1927, Québec, Le monastère des Augustines, HDQ-F1-N1,2/13:1. Photo: Livernois

Les années de difficultés

Les circonstances entourant la fermeture du tour en 1835 sont complexes. Toutefois, c’est principalement l’augmentation du nombre d’enfants accueillis par les Augustines et les charges considérables que cela implique qui justifie le retrait du gouvernement de cette œuvre. Au tournant des années 1830, le nombre d’enfants explose en raison de l’arrivée des migrants des îles britanniques, des conditions socio-économiques de plus en plus difficiles et de l’épidémie de choléra de 1832.

L’augmentation du nombre d’enfants débute toutefois bien avant 1830 et, dès 1824, le gouvernement applique certaines mesures pour s’assurer de contrôler la hausse des coûts associés à cette entreprise. En effet, le budget accordé à travers l’ensemble du Bas-Canada pour l’aide aux pauvres passe de 1000 £ en 1801 à 6430 £ en 1823[7]. Pour le gouvernement, cette somme est trop importante et nécessite une diminution considérable et définitive de leur participation.

La première mesure pour atteindre cet objectif est de diminuer les allocations données aux familles d’accueil. Elles passent de 10 £ par année à 7,10 £ par année à partir de 1823[8]. En 1824, une autre mesure est de retirer le financement pour les enfants de 5 ans et plus qui doivent donc être adoptés par leur famille d’accueil. Les mesures les plus drastiques prises par le gouvernement ont toutefois lieu à partir de 1835.

Des mesures drastiques mises en place

Le gouvernement cesse d’abord de payer les rentes aux Augustines en 1835, en raison d’un manque de fonds[9]. Cette première mesure s’avère catastrophique pour les religieuses : les familles les contactent en panique, demandant des avances pour subvenir à leurs besoins[10]. La congrégation puise alors dans ses propres fonds pour s’assurer du bien-être des enfants et se montre très insistante auprès du gouvernement. Ce dernier n’envisage pas de continuer ce partenariat et demande aux Augustines de fermer le tour. Cette décision déplait aux religieuses : après trente ans de fonction, les sœurs se doutent que la population continuera de déposer des enfants au tour. De plus, de nombreux enfants sont encore aux charges du gouvernement et les Augustines se doivent de payer les rentes pour s’assurer du bien-être de leurs protégés. Elles utilisent alors leur propre argent et font appel à d’autres acteurs pour les appuyer dans leur œuvre, dont l’évêque de Québec[11].

Avis des commissaires que les enfants ne seront plus reçus au tour du monastère des Augustines de l’Hôtel-Dieu de Québec par manque de fonds, 9 avril 1835, Québec, Le Monastère des Augustines, HDQ-F3-A1/1:19

La fin d’un partenariat

Le partenariat entre le gouvernement et les Augustines connait une fin abrupte et, finalement, le rôle administratif de la congrégation se transforme en rôle économique. Si au départ le gouvernement avait une véritable volonté d’appuyer les œuvres auprès des enfants trouvés, avec l’augmentation de la population et de ses besoins, il se déleste de toutes ses responsabilités aux dépens des religieuses. Ainsi, bien que les difficultés économiques rencontrées par les Augustines face au désengagement du gouvernement signifient un ralentissement de l’accueil des enfants abandonnés au monastère, elles continuent cette œuvre jusqu’en 1845, moment où le dernier enfant est déposé au tour. Il faut attendre cinq ans pour qu’une autre congrégation prenne le relais de cette œuvre. Les sœurs de la Charité ouvrent ainsi, en 1850, une crèche et font de l’accueil des enfants leur mission principale[12].

Malgré l’existence relativement courte de cette œuvre dans l’histoire des Augustines, les conséquences ont été notables. Durant 45 ans, les Augustines ont accueilli près de 1400 enfants. Elles leur ont trouvé un foyer et se sont assurées de leur bien-être en utilisant leurs propres ressources financières. Ainsi, les Augustines ont, encore aujourd’hui, un réel sentiment de fierté face à cette conjoncture particulière de leur histoire.

Béatrice Couture


[1] Dominique Goubeau et Claire O’Neil, « L’adoption, l’Église et l’État », dans L’évolution de la protection de l’enfance au Québec, dir. Renée Joyal, (Montréal : Presses de l’Université du Québec, 2000).

[2] Acte de l’Assemblée capitulaire du 23 mars 1801, 23 mars 1801, Québec, Le Monastère des Augustines, HDQ-F1-A.

[3] Denis Guest, The emergence of social security in Canada, (Vancouver: University of British Columbia Press, 1980), p 9-13.

[4] John Hare, Marc Lafrance et David-Thiery Ruddle. Histoire de la ville de Québec (1608-1871), (Montréal : Boréal, 1987), p. 202-206.John A. Dickinson et Brian Young, Brève histoire socio-économique du Québec, (Québec : Septentrion, 2009).

[5] Lettre du juge Panet, 24 janvier 1801, Québec, Le Monastère des Augustines, HDQ-F3-A1/1:3.

[6] Acte de l’Assemblée capitulaire du 23 mars 1801, 23 mars 1801, Québec, Le Monastère des Augustines, HDQ-F1-A.

[7] Gonzalve Poulin. « L’assistance sociale dans la Province de Québec 1608-1951 », Commission royale d’enquête sur les problèmes constitutionnels, annexe 2, 1955, p. 15.

[8] Tableau des Enfants aux charges de la commission établie à Québec pour l’exécution d’un acte pour le soutien des personnes dérangées dans leur esprit & le soutien des enfants abandonnés reçus à l’Hôtel-Dieu de Québec, 1er janvier 1820 au 1er janvier 1830, Québec, Le Monastère des Augustines, HDQ-F3-C2,1/2.

[9] Lettre au sujet du manque de fonds du gouvernement, 9 avril 1835, Québec, Le Monastère des Augustines, HDQ-F3-A1/1:19.

[10] Lettre de Sœur Saint Antoine à Jérome Demers, 11 mai 1838, Québec, Le Monastère des Augustines, HDQ-F3-A1/1:28.

[11] Lettre de Sœur Saint Antoine à Jérome Demers, 16 mars 1837, Québec, Le Monastère des Augustines, HDQ-F3-A1/1:27.

[12] François Rousseau, La croix et le scalpel, histoire des Augustines et de l’Hôtel-Dieu de Québec I : 1639-1892, (Québec : Éditions du Septentrion, 1989), p. 181.